Victoire faisait partie de ce groupuscule réduit de gens chanceux, les bénis des Dieux. Elle était de facto membre de l’élite sociale, cette classe que la plupart ne connaissent que de nom, ou d’adjectif; caste aussi critiquée qu'enviée. Elle n’aurait jamais eu à s’agenouiller, joindre ses mains et croiser ses phalanges si fort à les faire blanchir en implorant un peu de clémence à l’égard du Ciel, ça jamais. Tout ce qu’elle désirait, elle l’avait déjà à disposition sans pour avoir même à le demander. Elle était née dans la bonne famille, son faciès était loin d’être laid, en grandissant son corps fit éclore des chutes sensuelles et somptueuses, ni trop abondantes ni insuffisantes : elle en avait juste assez pour assouvir la soif de tout homme normalement constitué et sachant apprécier les voluptés féminine. Sa famille était productrice d’un des meilleurs crus de champagne français, possédait des centaines d’hectares de vignes dans le sud-ouest de la France, des domaines et demeures rassemblant tout ce que ce terroir avait de plus beau à proposer.
C’était un bon cru. Elle était supposée se bonifier avec le temps, acquérir des saveurs acidulées, plus marquées surprenant le commun des mortels, un doux breuvage champêtre ravivé par une pointe d'exotisme. Un élixir de jouvence dont on ne peut se passer, à tel point qu’on y devient accro. Mais une seule ombre au tableau, qui menaçait de faire échouer cette ambitieuse perspective de vie : cet instinct enfoui. Cet attrait caché, qui ne faisait que surgir et demander à éclore au fil des années.
Finalement, l’ombre qui planait au-dessus du chevalet se transforme en nuage gris, puis en un orage qui rend la toile dégoulinante de couleurs qui se mêlent dans un bazar laid.
Cet attrait pour le danger, pour l'interdit.
C'est bien connu; ceux qui ont tout désirent toujours l'improbable. Cette vie bien rangée n'intéressait en rien Victoire. Elle ne voulait se contenter de cette simplicité jusqu'à la fin de ses jours. Alors depuis son âge de raison, elle se mit à farfouiller en son fort intérieur, ses plus vils traits de caractère pour les développer secrètement à l'encontre de sa benjamine; comme une vengeance injuste et indirecte à l'égard de ses bourreaux qui tourmentaient ses nuits comme journées.
En grandissant, elle fréquenta des lieux, des personnages à mille lieues de ce que la morale et son rang supposaient qu'elle côtoie. Ces hommes et femmes, elle les a poussés dans leurs retranchements, toujours sur la route de cette épice addictive. Elle vivait par procuration, se délectait de la simple vision d'actes commis par d'autres qu'elle-même rêvait de faire.
Et puis finalement, elle le rencontre lui. Elle sait déjà qu'elle le gardera. Il a cette chose en plus, bien sûr il a cette lueur dans les pupilles, mais il a aussi cette chose qui l'avait immédiatement alertée que c'était lui, cette partie de son âme manquante qu'elle cherchait, attendait depuis des années; elle sait qu'ils vont vivre des périples inoubliables. Au pire des cas, elle les provoquera. Elle sait déjà qu'ils vont rire, pleurer, s'aimer, surtout se déchirer.
Par sa faute, ils se retrouvent fugitifs, bien loin de leurs habitudes et confort. Bonnie & Clyde. Le Beau et la Bête. La vie dont elle avait depuis toujours consciemment rêvé. Un soir ils s'aiment, le lendemain ils se broient mutuellement. Ca lui va comme ça.