t'es là parce que c'est ta place.
t'es là parce qu'il le veut.
t'es là parce que t'es rien.
rien qu'une pute.

t'as mal. tes mains sont pleines de sang, ta tête est pleine de brume. il t'a amochée, après t'avoir baisée. tu peux presque encore sentir ses ongles s'enfoncer dans ton dos et ses dents se planter dans ta chair. et maintenant, t'es en larmes, t'es en détresse. t'as envie de crier au monde entier ton mal-être. mais y'a personne pour t'écouter dans c'monde de merde. le sang coule, les hématomes se forment, les maux s'agrandissent.
alors tu te lèves, tu prends le peu de courage qu'il te reste et tu marches. lentement. en prenant ta tête entre tes mains pour qu'ça arrête de tourner, le monde bouge autour de toi, le monde change trop vite. comme si t'étais dans un bateau, t'as l'mal de mer. t'as l'mal de terre, mais t'as surtout l'mal de toi.
tes pas s'accélèrent, ta cadence aussi, tes pensées avec.
tu veux arriver le plus vite possible pour cracher à la gueule de ton frère. ou plutôt, c'est ce à quoi tu penses maintenant, mais une fois face à lui, tu vas repartir la queue entre les jambes parce que t'auras pas eu les couilles d'aller jusqu'au bout. t'es en colère, t'es en malaise, t'es mal mais t'auras jamais le cran d'hurler à sin ses quatre vérités.
tu cours presque. pourtant t'as pas hâte d'arriver. c'est juste que tu veux en finir. t'veux plus avoir à faire à des gens pareils, ces hommes qui te salissent avec leurs mains crasseuses. ces hommes qui t'aiment pas, c'est ton cul qu'ils aiment. c'est l'orgasme que tu peux leur offrir.

et le monde s'en fou.
ta propre famille s'en fou.

t'arrives chez toi, ou du moins l'endroit où t'es sensée vivre.
mais tu ne vis pas, tu survis, c'est différent.

t'ouvres la porte d'un coup sec, tu regardes autour de toi, il est pas là, y'a que ta soeur.
tu la regardes, avec du sang qui coule encore un peu sur ton beau visage, autrefois si doux.

- il est où ?!

tu es désemparée.

j'déglutis au goulot ma bouteille de patrón, un air morbide de dégoût qui colorie mes traits tirés. l'alcool n'a plus l'goût de nos soirées d'adolescents furieux stella, sans toi, il n'reste plus que l'amertume de la liqueur mêlé au sel dégueulasse de mes yeux. aujourd'hui, on m'a appelé sans crier gare, ils ont pas cherché à connaître mon nom, j'étais juste la "personne à contacter en cas d'urgence", et j'ai compris, stella, qu'en une seconde le monde était passé d'une population de sept milliards, à moi + mes deux yeux pour te pleurer. lamentable, l'alcool imbibant mes veines, je m'écroule sur le canapé de l'appartement, sin est allé s'faire plaisir encore une fois sûrement avec quelques chicks de son club, et élaïa, j'ose même plus imaginer. cadavre morbide, je serre mes doigts contre le plaid brûlant mon épiderme glacé, et ma tête tourne, des mirages m'étranglent et ma rage poignarde chaque murs, chaque centimètres du sofa niqué et tâché par la graisse d'la nourriture basse qualité. j'arrive plus à marcher droit, ça me tuait que ce monde de merde continuait de tourner sans toi bordel de merde. j'm'écrase contre chaque meubles de la pièce, j'nique l'appartement, les traits marqués par la colère de sin s'immisce dans mon esprit, et malgré la situation, un rictus vient tailler le bout de mes lèvres. j'm'écroule à nouveau sur le canapé, les paupières closes, une douleur acablant chaque muscles de mon corps de lâche. c'est comme ça que tu te sens stella en c'moment ?
même pas le temps de dormir un quart d'heure que la voix railleuse et endolorie d'éla vient contaminer l'appartement. son visage se présentait comme une oeuvre d'art morbide. des touches noires terreuses, au couleur de son crayon khajal, mélangé à ses larmes et aux teintes vermillon tirant sur le bordeaux de son sang, peinture aux couleurs de la douleur. j'me lève d'un bond maladroit, en lui accordant qu'un regard bref et froid en rugissant bordel baisse d'un ton, commence pas à faire la meuf là ! j'attrape ma bouteille de tequila sur la table basse, profitant d'une gorgée pour évacuer le stress des dernières minutes. j'sais pas où il est, il doit être encore avec une de ses putes là. et qu'est ce que t'as foutu comme conneries sérieux pour te retrouver dans cet état là ?! j'plante mon regard dans ses yeux. nos deux regards humides s'entremêlent, chiens perdus, des animaux errants en recherche de la chaleur d'une maison, d'une famille.  

t'es chez toi, tu devrais être contente. pourtant t'y arrives pas, parce que t'aimes pas être ici. ça pue la famille, ça pue l'amour improvisé.
ta soeur est là, elle. mais elle n'a pas l'esprit vif.
la bouteille qu'elle serre dans sa petite main te le confirme. elle a bu. elle est soûl.
pourquoi ?
elle n'est pas heureuse de te voir, elle parait mal, très mal.
- bordel baisse d'un ton, commence pas à faire la meuf là !
- j'sais pas où il est, il doit être encore avec une de ses putes là. et qu'est ce que t'as foutu comme conneries sérieux pour te retrouver dans cet état là ?!

et elle, c'est quoi son problème ? le monde entier est contre toi pour te faire chier, ça doit être ça. tu sais pas tellement comment réagir face à elle. t'es sensée la consoler ? tu sais même pas pourquoi elle est dans un tel état.
t'es sa soeur, pas sa psy.
tu t'avances vers elle, tu lui prends la bouteille des mains en essayant de ne pas l'effrayer.

- t'oses me demander ce que j'ai fais pour être dans cet état ? et toi, on en parle ? tu t'es vu, on dirait un déchet !

tu veux pas être blessante, tu l'aimes après tout. mais t'es pas bien, t'es pas dans ton état normal, t'avais besoin de réconfort, pas qu'elle te traite ainsi. alors tu poses la bouteille sur la commode et essaie de capter son regard.

- j'viens d'me faire casser la gueule, et toi, c'est quoi ton excuse ?!

tu la fixes, t'attends une réponse. si c'est à cause de sin, t'es prête à exploser. t'en as marre, t'en peux plus, tu veux plus de ça. les cris, les pleurs, la souffrance. c'est trop. beaucoup trop pour vous. alors tu t'approches prudemment de ta soeur, tu prends son visage entre tes mains douces et tu baisses les yeux. tu baisses ta garde. t'oublies ta douleur, t'oublies le sang, t'oublies ta vie de pute.
t'as ton regard dans le sien et tu lui demandes des explications, des détails.
tu veux savoir le pourquoi du comment.

- parles moi ...

ça pue le mort dans ce pays d'merde, les effluves de nourriture rance et de l'alcool bon marché te font perdre la tête, comme lorsque tu as perdu ton coeur lors de cet accident de voiture. élaïa t'arraches ta tequila des mains, la colère t'assaillie, et d'un geste brusque et maladroit, tu sers fort l'avant bras d'élaïa, lui balançant un regard noir de ta haine, comme si tu voulais laisser ta trace lui faire regretter ses faits et mouvements, tu voyais déjà les hématomes bleutés s'mêler à la douleur sur son bras, tu voyais déjà les teintes de l'enfer se tatouer.

- ferme-la, j'refuse qu'on vienne me parler d'être un déchet quand on est soumise à son frère et qu'on lui suce la queue tous les soirs.

les tatouages ont tous une signification, celui-là servira à lui rappeler de n'plus jamais jouer à la grande avec toi. mais comme d'habitude, tu laisses la faiblesse s'emparer de toi, et lorsqu'elle te dit qu'elle s'est faite agresser, tu t'abandonnes dans ses bras, dans les effluves d'alcool émanant d'la salle, et tu la serres fort contre toi, tes yeux venant humidifier ses cheveux poussiéreux en bataille.

- j'suis tellement désolée élaïa, oublie c'que j'ai dit, j'suis tellement conne si tu savais, j'suis désolée, désolée...

moe, t'aurais aimé avoir les idées claires, d'enfin prendre tes responsabilités en tant que grande soeur, et pas laisser ta éla sombrer dans les méandres de c'monde bien trop noir, seulement éclairé par les néons foireux qui aveuglent aux odeurs de tabac froid et d'la déchéance.  elle plonge son regard dans tes yeux, comme pour chercher une issue d'secours, une échelle par laquelle tu pourrais t'échapper de cette réalité bien trop morbide, et t'en fais de même. un voile blanc imaginaire floute ta vision, la migraine s'intensifie, ta lèvre inférieure tremble entre deux trois sanglots refoulés, et tu auras beau plonger, nager, jusqu'à en perdre ton souffle, jamais, plus jamais plus tu n'verras une étincelle de vie dans la poudre noire qui recouvre les yeux de ta éla. retour à la surface, elle te demande de lui parler. ta gorge se serre.

- c'est pas important c'qui m'arrive. c'qui compte c'est toi. c'est sin c'est ça ? même si c'est pas sin, j'en ai marre éla, que tu finisses toujours comme ça... tu mérites pas tout ça... t'aurais du rester avec les parents, t'aurais pas à subir tous ces trucs horribles, c'est d'ma faute, j'm'en veux, j'suis tellement désolée de pas réussir à t'protéger éla.

t'as pas envie d'la tourmenter avec tes idées noires, tes histoires de coeur à la con. elle souffre bien plus que toi jour après jour, t'as pas l'droit de te plaindre. tu frottes tes yeux contre ton avant bras, avant d'esquisser un léger sourire.

- assieds-toi, j'vais essayer de désinfecter, j'arrive.

tu caresses doucement son épaule, en titubant jusqu'à la salle de bain, pour chercher des cotons, de l'eau, et du désinfectant. tu t'regardes dans le miroir. t'es si misérable. tu serres les poings, et tu t'souviens comment maman n'arrêtait pas de te répéter que tu étais le portrait craché de sin. t'écrases tes phalanges contre le miroir, refoulant un hurlement, et tu t'rediriges l'air de rien vers le salon, où élaïa t'attend.

on est tellement foutues éla. on s'en sortira jamais.

tu sais pas ce qui te fait le plus de mal. le sang qui coule encore sur ta peau, ou bien les mots que ta soeur te crache à la gueule. comme si t'étais qu'une vulgaire merde. t'as l'habitude, sin te traite toujours ainsi, tes clients aussi, même tes amis sont contre toi. mais pas elle. pas moe. tu peux tout subir, tout, mais pas que moe s'y mette elle aussi. c'est la seule personne qui te reste. la seule qui arrive à faire en sorte que vous soyez tous les trois encore une sorte de famille et pas un clan de débris dont un connard de mac, une pute et une taré. elle est bien moe, tu veux pas en douter. t'as la tête qui bourdonne, t'en peux plus de toutes ces merdes qui planent autour de votre famille. la famille flores, la famille maudite. t'es heureuse de pas avoir un frère ou une soeur de plus, au moins, ça fait une personne épargnée.
si moe n'est plus là, tu sais pas tellement c'que tu peu faire de ta peau. et là, elle est en train de partir peu à peu, tu le sens, elle s'échappe, elle s'enfuie, elle s'éloigne de toi et de la merde que tu lui inspires à ce moment précis.
et toi, t'as envie d'hurler, une fois de plus, et de te débattre une dernière fois.

elle s'effondre ensuite dans tes bras. comme une poupée de chiffon abandonnée par son marionnettiste. tu as tes bras autour de son corps, tes bras trop maigres, trop fragiles, qui ont vu trop de haine et de souffrance sur cette terre pour tenir le coup. t'entends ses excuses. ça te fait chaud au coeur mais t'en es que plus retournée. pourquoi se met-elle dans cet état ? tu veux savoir. elle ne te le dis pas. comme si ce n'était pas important, comme s'il n'y avait que toi qui comptait dans cette maison. mais ce n'est pas le cas. toi, c'est elle que tu veux choyer. parce qu'à tes yeux, c'est la seule qui mérite de vivre. la seule qui mérite encore de respirer.
elle veut te soigner, une fois encore. te soigner des conneries de ton frère.
certes, ce n'est pas lui qui t'a foutu sur la gueule, mais c'est du pareil au même. il vaut pas mieux. et c'est sûrement pour cela que tu le crains tant.
tu la vois revenir avec de quoi désinfecter tes plaies. mais elle ne pourra soigner que celles en surface, quel morceau de coton pourrait soigner les blessures faites à ton pauvre coeur ? qui pourra soigner ce qui te ronge, au delà de ton malheur physique ?

t'attends qu'elle revienne près de toi avec son matériel. tu la quittes pas des yeux. elle est belle. bien plus belle que toi. elle est pas aussi souillée que toi. et tu l'envies. t'es jalouse d'elle, au fond, depuis toujours. et ça te fait mal de la voir ainsi.
tu prends son avant-bras doucement pour l'inviter à s'assoir sur le canapé en déblayant préalablement le bordel dessus. tu te mets à côté d'elle, un faible sourire aux lèvres pour la rassurer. certes, t'as mal, mais elle aussi. tu caresses son bras en la fixant dans les yeux.

- ce n'est pas sin, il n'y est pour rien ...

un petit mensonge, il n'y est pas complètement pour rien. mais elle le sait déjà ça, elle est au courant de la déchéance qu'il intègre à ton âme jour après jour.

- moe ... dis-moi ce qui n'va pas, je t'en supplie ... je reviens souvent dans cet état, j'ai l'habitude. mais toi, je t'avais jamais vu comme ça ...

tu poses ta main sale sur sa joue, sans voir qu'une larmes ruisselle le long de la tienne. le mal de tes yeux, plongé dans les tréfonds de son âme.

- on s'en sortira moe, un jour tout ira mieux. alors dis-moi ce qui ne va pas, parle moi s'il te plait.

t'es sincère, mais naïve.

son toucher est rapeux contre tes bras frêles, tu ressens en un instant toute la douleur qui a pu tourmenter ses doigts si fins ces derniers jours contre ton épiderme fragile. un faible sourire se dessine sur son bord de lèvres, et tu l'imites alors, brossant délicatement une mèche de ses cheveux entre tes phalanges avec tendresse.
tu imbibes le coton de démaquillant d'abord, les mains maladroites, le regard brouillé par des larmes en bord des yeux qui brument ta vision, et l'alcool qui parcourt tes veines. tu sens l'regard d'élaïa peser sur tes traits tirés et ton visage humide, un pincement te torture la gorge, et ta langue a un amer goût d'regrets et d'impuissance. tu n'oses pas plonger tes yeux dans les siens en retour, bien trop honteuse.

- j'vais le tuer un jour, éla. il sera plus là, et on partira toutes les deux, rejoindre les parents, ou on partirait en voyage j'sais pas. ça serait bien non ?

le bras légèrement tremblant, tu passes le coton autour des yeux de ta soeur; puis sur ses lèvres. son visage était pâle, et si sale à la fois, de grands yeux clairs emplis d'ses idées noires, des lèvres si douces qui effleuraient la peau de bien trop d'connards.

- rien de spécial. juste une p'tite dispute avec stella, ça arrive, tu sais bien j'suis une grosse fragile, je pleure pour un rien, puis wah l'alcool et tout, voilà quoi. t'es trop mignonne, t'inquiète pas pour moi, vraiment.

mensonges sur mensonges, belles paroles sur belles paroles. une voix en toi te pétait les tympans "reprends-toi, sale conne, sèche tes larmes, lève la tête comme si tu n'avais jamais été lâche, ne fais remarquer à personne c'qui tourmente ton corps et ton cœur." t'as pas l'droit éla, de subir mes peines de coeur alors qu'le tien est si loin de cicatriser.

- t'es tellement belle comme ça, sans maquillage sans rien. dis-moi pourquoi. qu'est-ce-qu'il a bien pu s'passer pour que t'en arrives là, pour qu'on en arrive là. t'as pas besoin de ça, tu mérites tellement plus, un petit job, des études, une vie tranquille, j'suis prête à te prêter autant d'argent qu'il te faudra pour qu't'arrêtes de rentrer à la maison en pleurs et en sang. dis-moi pourquoi tu t'efforces à bosser pour ce connard. t'as... t'as tellement changé éla, j'te reconnais plus.

t'attrapes doucement les mains froides d'éla, et tu les frottes contre les tiennes. un coup d'chaud te monte à la tête, l'anxiété te ronge chaque parcelle de corps, accumulation d'sentiments qui tourbillonnent en toi. assise côte à côte sur ce canapé niqué, tu poses ta tête sur l'épaule fragile de ta soeur, faible, comme si tu connaissais déjà l'issue d'cette conversation, comme si on s'donnait corps et âme dans cette histoire alors qu'en réalité, on est foutues, pour toujours. tu fermes les yeux deux secondes, une once d'espérance illuminant tes traits, une espérance qui t'fait dire que vous vivez comme une famille normale pour une fois.

- c'est vrai éla, jamais tu n'm'as accordée une minute de ton temps, tu préférais sûrement te déhancher, être désirée, plutôt qu'on s'parle soeur à soeur.
autrefois, tu m'faisais part de tes chagrins d'adolescentes, j'me souviens, on passait des soirées éclairées par le clair des étoiles à balancer les pires insultes à nos ennemis du haut des toits de tout amsterdam.
reviens-moi. -