Comme ils sont lassants, ces gens qui ne pensent qu'à se préoccuper de la vie des autres. Ils s'immisce dedans comme si une place les attendait, comme si ils avaient parfaitement le droit de connaître le moindre détails de la vie privée de chacun. Au milieu de toute le monde, Shawn balaye la pièce d'un regard impassible, lassé par le brouhaha présent depuis quelques minutes. Il fallait s'y attendre, un peu. Ce n'est pas en portant de simples lunettes de soleil que tout le monde oubliera son visage - ce pourquoi il les avait retirées. Quelques appareils photos l'attaquent : il s'en fiche. Il ne regarde rien, il n'offre pas ce plaisir de regarder l'objectif. Les jambes croisées sous la table, il semble attendre quelqu'un, mais son visage ne montre aucun signe d'impatience. Et puis, quand il la voit arriver, c'est différent, c'est difficile de ne rien ressentir, et c'est tout de même un peu énervant, cette légère emprise qu'elle a sur lui. Shawn se demande même comment c'est possible. Est-ce ses jolis cheveux blonds ? Son doux sourire ? Ou bien le ton délicat de sa voix lorsqu'elle prononce son nom ? Bon sang, il n'en sait rien et c'est troublant. Tout comme elle. « Leonor. », dit-il simplement à son arrivée, après s'être levé par politesse. Enfin une distraction. Appuyant ses coudes sur la table, le jeune homme offrit à la demoiselle toute son attention, la regardant droit dans ses yeux. Il ne savait même pas quoi dire. Elle aussi, s'était immiscée dans sa vie, d'un seul coup. Lui n'avait rien eu le temps de faire, qu'elle se trouvait à ses côtés. Pour éviter de laisser un silence gênant s'installer, Shawn reprit la parole. « Tu veux boire quelque chose ? » l'interrogea t-il. Il pouvait largement se permettre de lui offrir toutes les boissons, restaurant, hôtels qu'elle désirait. Simplement, ça n'était pas son genre de montrer son affection avec de l'argent. Quelle affection ? Shawn ne savait même pas pourquoi il restait en sa compagnie. Mais il le faisait tout de même. Son illogisme le surprenait, lui qui d'habitude avait l'air si détaché du reste de la planète. « Ça ne te fatigue pas, de rester avec un homme comme moi ? » demanda t-il alors, entamant un sujet de conversation plutôt sérieux. Lui et Leonor avaient cinq ans d'écarts, ce qui n'est pas grand chose. Shawn est la plupart du temps occupé par son travail, suivit par les médias, interpellé par n'importe qui, et en plus de ça, sa personnalité est terriblement ennuyeuse - du moins, c'est ce qu'il pense de lui-même. Oui, il se trouve tellement ennuyeux. Au fond, il est persuadé que la demoiselle pourrait trouver quelqu'un de bien plus intéressant avec qui elle pourrait passer du temps. Le jeune homme haussa légèrement les sourcils, et avait ponctué sa phrase d'un infime rictus, comme s'il était amusé par sa propre question.

Pourquoi elle et pas une autre? C'est la principale question qui tourmente Shawn. Il y en a des dizaines et des dizaines, mais c'est Leonor qui est à sa table. Il ne sait pas pourquoi. Elle lui plaît, un peu. Un peu beaucoup. Mais ça ne peut pas être uniquement cela. Il ne fait même pas attention au "nous", il n'en tiens pas comte et juge ce mot transparent, irréel. Il commande une simple bouteille de vin ainsi que deux verres à pieds. Puis, la réponse de la demoiselle lui arrache un sourire découvrant ses dents, semblant vrai - oh, elle doit sûrement se tromper. Quelqu'un de bien. De passionné et de dévoué. La bonne blague, si elle savait, ne serait-ce qu'une once de l'estime que Shawn à de lui-même. Haussant les sourcils, toujours sous l'hilarité, il appuya ses coudes sur la table et s'avança un peu plus vers Leo. Bizarrement, il se sentait un peu plus à l'aise qu'il y a quelques minutes, peut-être moins froid, même. Faisant un signe de tête vers les quelques appareils photos mal dissimulés, un peu plus guilleret, il poursuivit. « Et eux ne te dérangent pas ? Tu sais qu'ils sont prêts à te suivre de partout, à s’incruster dans la moindre interstice de ta vie pour récupérer le pire des ragots sur toi ? Ça ne te pose même pas de problème ? » Dit-il sur un ton doux. Shawn donnait parfois l'impression de s'appliquer lorsqu'il parlait. Il appréciait juste le fait de parler correctement aux gens. Peut-être plus par politesse que galanterie, le jeune homme s'empara de la bouteille et servit un verre à la demoiselle en face de lui, puis remplit le sien. Vérifiant discrètement dans une des vitres du bar que sa coiffure était toujours si bien arrangée, Shawn tourna une nouvelle fois son regard vers Leonor. Il pouvait certes se montrer moins désagréable et distant. En tout cas, elle est la seule personne à pouvoir en profiter. Et lui a décidé d'arrêter de se poser plus de questions là-dessus. Mais avant tout.. il veut vérifier qu'il ne se lance pas dans un plan foireux.

Au début, il les détestait. Ces appareils photos. Ces flashs inattendus et insupportables, prêts à vous griller la rétine à un moment insoupçonné. Il détestait le fait de ne pas pouvoir vivre librement, un œil constamment fixé sur son dos. À présent, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire. Un mur invisible s'était dressé entre lui et les appareils photos. Il ne leur adressait rien. Ni un sourire, ni un regard. Il se faisait désirer par les médias, en quelques sortes. Shawn ne sait pas trop comment il va. En fait, ce n'est pas le genre de questions qu'il se pose. Il vit. C'est tout. Il a connu des moments ou ça n'allait vraiment pas. Des fois, il se sent bien. Mais actuellement, tout de suite... il n'en a pas la moindre idée et c'est frustrant. Sous cette même frustration, son visage se déforme un peu. Puis, le vide. Il se souvient du vide. Quand sa deuxième histoire d'amour s'est terminée, le vide s'est installé. Il avait prit son cœur, son corps, ses yeux. Est-ce que Leonor était vide, elle aussi ? « Je... » ne sais pas. Ce petit mot, tout seul, il le murmure tout bas, encore plongé dans sa propre confusion. Il est un peu perdu, d'un seul coup. Il relève le visage, essaye de détendre ses traits, puis force un sourire mal assuré. « Je vais bien. » Shawn lève son verre à son tour, le faisant rencontrer celui de la jeune demoiselle en face de lui. Pourquoi ? Pourquoi il avait l'impression de lire de la tristesse dans le fond de ses yeux ? Ça l'intrigue, ça le dérange. Il se dit que si il retourne la question, ça sera un peu plus poli. « Qu'est-ce qu'il en est de toi, Leonor ? Tu ne me parle pas souvent de toi. » Dit-il avant de prendre une gorgée dans son verre. Il sourit. Il ne sait pas trop comment s'y prendre. Il essaie. Ce sourire maladroit qui se dessine sur ses lèvres. Ces yeux à la recherche d'une échappatoire. Ces mains gênées qui n'ont pas la moindre idée de quoi faire. Si seulement tout ça pouvait changer.