ça change à toutes les secondes, les minutes, les heures, les semaines, tous les mois et puis toutes les années. c'est plus comme ça, c'est plus comme c'était. izzy, il revient pas ici, il revient pas tout court. je croyais que j'avais vu la lumière de sa chambre allumée tout à l'heure, mais c'était pas ça. sa mère veut pas transformer sa chambre d'adolescent en un autre truc. je peux comprendre, c'est pas comme si il était mort. après, je sais plus trop. il existe plus dans les parages. izzy. je soupire puis lance mon sac dans la cabane avant de monter, c'est facile maintenant de le faire. avant, c'était ce gamin qui devait me pousser pour que je grimpe. c'était avant. maintenant, c'est maintenant. une fois à l'intérieur, je prends le temps d'allumer les lumières question de voir un truc.

- ok.

c'est trop facile. rien à faire. pas un bruit de vent. pas une planche qui craque. juste le silence, je sais pas si je dois y croire ou me méfier d'un truc. c'est peut-être juste un signe pour dire que je peux me poser après ce temps à m'occuper de cette cabane. je dois la faire tenir, c'est comme un patrimoine. je me dis que si un jour izzy débarque, il sera content que ça tienne encore debout. après, peut-être que je me trompe et qu'il va complètement se foutre de tout ça. je lance mes trucs pour faire du camping, c'est pas le luxe, ça va seulement me laisser respirer. deux secondes. crack. mes yeux fixent direct la trappe pour entrer. c'est quoi tout ça ? c'est qui là ?

- madame wolf ?

pas le temps d'une réponse. je vois une tête brune rentrer à l'intérieur.

- izzy ?

« Vous me faites tous chier, occupez-vous de votre cul et laissez un peu le mien respirer putain ! »
Izzy peste en claquant la porte de la maison qui a vu ses premières années. Ses premiers pas, ses premiers rire, ses premières larmes. Sa première planche de skate aussi, et sa première fracture du tibia. Presque toutes les premières fois.
Et il se sent un peu comme s’il avait treize ans Izzy, à crier comme ça. Crier contre son sang qui se pend à son cou attendant un mot, une phrase, quelque chose qui ne sort pas. Mais y a rien à sortir, et tous ces abrutis ne comprennent pas.
Izzy se sent comme un adolescent dans cette chambre en lit simple. Dans cette maison de famille en patchwork pour laquelle rien de va. Parce rien n’est jamais simple quand on retourne dans le passé.
Il fait froid dehors, et le grand brun regrette un peu d’avoir laissé sa veste sur le porte manteau de l’entrée, mais c’est trop tard, y retourner serait comme rendre les armes et s’offrir directement en pâture à tous ces interrogatoires qui se succèdent depuis qu’il a annoncé qu’il rentrait. Depuis que l’évocation d’une planche le rend malade. Depuis que l’évocation d’une blonde le rend fou.
Depuis qu’il pleure en dedans, comme un enfant.

Il avance jusqu’à la cabane en bois perché dans le vieux chêne au fond du jardin, celle qu’il a construite avec papa quand il croyait encore que l’enfance durait toute la vie. Le refuge des enfants qui ne grandissent jamais.
Le bois ne craque pas, les marches tiennent toujours à sa grande surprise, et lorsqu’il pousse doucement la petite trappe par laquelle il est devenu difficile de se faufiler, il entend une voix qu’il reconnait immédiatement.  
« madame wolf ?  izzy ? »
La voix a changé bien sûr, mais il y a cette façon un peu particulière de poser les mots, ces petites sonorités qu’il a apprises à reconnaitre, à aimer, à interpréter.
Une voix qu’il a toujours aimée depuis l’époque des pâtés de sables et des chevaux de bois.
« Nico ? c’est toi ? qu'est ce que tu fais là ?»
il affiche un grand sourire izzy, un sourire comme il n'en faisait plus depuis quelques années.

- IZZY !

je crois que même le temps ne peut pas comprendre ce qu'il se passe en ce moment. je tire si vite le tshirt de izzy pour qu'il rentre, pour que je le prenne dans mes bras. j'ai de la difficulté à croire que c'est bien lui. c'est lui sans être lui. c'est pas le izzy d'avant, il se ressemble pas. même son odeur, c'est pas la même. sauf que c'est izzy. c'est bien ce petit con. des larmes coulent contre mes joues, contre son épaule. je vais cacher ma tête pour pas qu'il me voit pleurer, mais je sais bien qu'il peut m'entendre sangloter. sale petite merde.

- c'est si bon de te revoir.

c'est si bon de me dire que je me suis pas attachée à tous nos souvenirs ensemble pour rien. de savoir que j'avais raison de croire que t'allais bien revenir un jour, que j'allais revoir le bout de ton nez dans cette cabane. faut plus me quitter comme ça, ok ? faut plus partir comme ça et revenir que maintenant. je viens de me faire plaquer de plein fouet, mais ça fait tellement de bien à l'intérieur.

- je suis désolée. ok. je vais te laisser rentrer pour de vrai.

je le coince encore un peu entre mes bras pour finalement reculer. pour le laisser respirer. je me glisse pour être dans le coin de la cabane. j'ai envie qu'il voit qu'elle tient toujours, qu'elle est pas sur le point de s'écrouler. j'ai pas abandonné nos souvenirs, j'ai pas dit au revoir à nos moments ensemble si facilement.

- t'es devenu si beau.

mon amoureux d'enfance.

- je suis encore sous le choc.

je me laisse tomber sur le dos, cachant mon visage.

- tu me promets que t'es bien ici izzy ? que t'es pas ailleurs ?