Elle est assise à table. Un repas de famille. Les Gallagher sont réunis. Le nom qui lui colle à la peau et dont elle n'arrive pas à se défaire. L’opulence, les attentes qui lui sont imposés et qu'elle est jusque là la seule à véritablement respecter. Ses boucles parfaitement dessinés lui tombent sur le visage. Il faudrait organiser la collecte de vêtements pour l'association pour l'afrique. Andy, tu pourrais peut être donner quelques pièces de la boutique non ? lance le père de famille. Elle le regarde. Si elle savait. Un sourire, celui qui sonne le glas d'une souffrance. Celle qu'elle masque depuis des semaines. Ca va leur faire bizarre de porter des fringues à 300euros pièces aux petits africains. Tous la regarde. Interloqués. Pas son genre. Pas un mot plus haut que l'autre. Jamais. Elle veut hurler. Chialer dans les bras de son père. L'impression que ça vaut plus le coup de sauver les apparences. Le besoin de t'éloigner, peut être aussi pour ne pas les inquiéter. Sa perfection, c'était son identité, aujourd'hui, c'est la leucémie qui prend le dessus. Qui gagne doucement la partie. Personne ne la comprend à cet instant. Elle même ne sait pas ce qui lui prend. Pardon ? Qu'est ce que tu as ? Ah bordel, si ils savaient à quel point elle en bave. Incapable de danser plus de trente minutes sans cracher ces putains de poumons. Son corps qui lâche. Doucement mais surement. Rien. Je suis fatigué. Elle se lève de table. Elle est épuisé, autant physiquement que moralement. Elle essaye de garder la tête haute, de rien dire pour ne pas blesser, continuer de sourire à tout va alors qu'elle en crève de cette situation de merde. Littéralement parlant. [...] Elle gare sa voiture hors de prix et polluante devant la maison qu'elle vient d'acheter avec son conjoint. Andy, c'est toi ? Ta mère m'a appelé, ça va ? Non, elle va pas bien Andy, elle ira jamais mieux, c'est ça le pire. Elle répond pas. Elle se contente de le fixer. T'es absente depuis des jours. Tu arrives en retard au boulot. Tu te réveilles au milieu de la nuit pour fumer dans le jardin. C'est quoi ce bordel ? Parle moi ! Elle croise les bras sur sa poitrine. Je t'aime plus. Elle a pourtant besoin de lui. De son corps, de ses bras musclés et rassurants. Rien n'y fait. Le quitter, la seule solution qu'elle a trouvé pour le préserver de la démence. Elle ne veut pas qu'il la regarde avec pitié. Andy, elle a peur. Plus que jamais. Quoi ? Elle a les larmes aux yeux. Elle peine à masquer l'émotion qui l'enserre. Lui dire la vérité, elle n'en est pas capable. Ça lui ferait tellement de mal. Elle veut le protéger. Elle veut les protéger. Tous. Alors elle continuera de sourire. Tu peux pas, je t'aime trop. Elle envoie valser le vase qui se trouve dans l'entrée. Mais arrête de m'aimer ! Elle dit ça comme si c'était simple, comme si on pouvait balayer sept ans de relation amoureuse comme ça. D'un trait. Elle qui était toujours si parfaite part en vrille. Le temps qu'il lui reste. Elle ne sait pas combien. Elle n'est pas sure de vouloir entendre l'estimation du médecin lorsqu'elle retournera dans son cabinet. Elle veut vivre. Elle veut rire encore, danser, pleurer, jouer. Elle avait des projets, des centaines, un mariage, des gamins, des voyages. Rien, elle ne pourra rien faire de tout ça. Elle sait même pas si elle veut se battre. Elle sait une chose, elle ne peut pas faire ça à Daniel. Parce qu'il restera avec elle jusqu'à la fin s'il sait. Il la soutiendra même quand elle aura pu un cheveux sur le cailloux, qu'elle gerbera ses tripes et quand elle saignera du nez. Elle le laisse partir. Ce sera plus simple, pour lui. Pour elle. Après tout, avec le temps, tout s'en va. Il l'oubliera. Il en aimera une autre.