encore le même soir, encore cet air ambiant, sombre et funeste, aux senteurs inchangées, comme figées dans le temps, impassibles au travers des années. ces murs au béton crade dont on n'voit plus l'ombre d'une couleur vive, ces rues sans réelle âme pour les peupler, juste des silhouettes, ici et là, errants à en crever.
encore et toujours ce même soir où on a un peu trop bu, trop abusé d'une liqueur qui finit par nous adoucir la gorge au fil des mois, si bien qu'on en redemande la gueule ouverte et criarde, qu'on y dépense l'maigre centime, juste pour s'sentir vivre ne serait-ce qu'un minimum. un minimum d'illusion où on sent notre corps qui tangue comme un navire prisonnier des vagues, et on s'noie, on s'noie. et on finit par n'plus respirer quand on sombre trop, mais on continue sans relâche, juste pour sentir c'fil de la limite trembler plus fort à chaque nouvelle gorgée.
et j'sais que la limite n'peut être dépassée.
mais j'continue jusqu'à la faire s'repousser.

j'marche plus bien droit, j'réfléchis plus bien non plus. c'est l'âge d'or d'une dépravée au corps trop lourd pour normalement avancer. et j'souris à la mort, j'emmerde la réalité, j'les emmerde tous, qu'ils aillent crever. j'suis toujours vivante, toujours dehors, à deux gorgées d'l'autre côté.
entre la brume, j'perçois tes yeux, ta mâchoire carrée. ta démarche presque titubante, ton air fermé. un regard insistant, dérangeant, qui vient m'percuter et m'troubler entre mes vapeurs alcoolisées. arrêt net, visage éteint, prêt à aboyer.

- tu regardes quoi, connard ?