c’était y’a quelques mois, deux ou trois au maximum. Yuna et toi, vous veniez à peine de terminer ce qu’elle appelait votre "nid plein d’amour". elle avait repeint tous les murs blancs de ton appartement en des couleurs bisque, cuisse de nymphe, mastic et toutes autre conneries que t’avais du mal à comprendre. elle avait même fait enlever tes posters des Souls of Mischief et du Wu pour y mettre des tableaux qu’elle avait acheté dans des galeries d’art, mais qui n’avaient justement rien d'artistique. elle avait quand même toléré ta collection de vinyles à condition qu’ils soient rangés dans la chambre. Rangés comme tes couilles bien au chaud au fond de leur écrin. Tu avais accepté tout ça parce que c’était la première fois que tu sentais que c’était la bonne, toutes celles d’avant représentaient aujourd’hui un ramassis de putains matérialistes et caractérielles. Yuna c’était différent, elle était gentille, elle était jolie avec ses faux airs de Sui He, elle était financièrement indépendante et totalement transparente avec toi. c’était le genre de fille qui te garantissait un foyer confortable rempli d’amour, de coussins plein de poils et de bougies Dyptique. elle était amoureuse de toi Yuna. Ô oui, qu’est-ce qu’elle t’aimait et ça t’avait fait du bien de l’apprendre. toi tu étais amoureux aussi. ça te dérangeait plus qu’elle mette des photos de vous sur Instagram, qu’elle te prenne la main dans la rue ou qu’elle balance un statut Facebook en disant qu’elle avait passé une "très belle journée à Rotterdam avec (son) chéri".
tu étais amoureux, je veux dire réellement, jusqu’à y’a deux-trois mois comme je l’ai dit au début. y’a deux-trois mois, ton portable a sonné alors que tu étais en train de refaire la vitrine de la boutique, c’était Warda. Cet après-midi je te ramène quelque chose mon chéri. Tu vas adorer.

À 16h34, la porte de chez BANGJOOLAH situé au 4 rue Prinsengracht s’ouvrit sur un des plus beau quelque chose que tu n'avais jamais vu et c’est précisément à ce moment là que ça a commencé à partir en couille. elle s’appelait Deeane, mais on l’appelait Sadee, elle avait ce truc "en plus" et tu l’avais tout de suite remarqué. Warda te l’avait ramené pour qu’elle soit la nouvelle égérie de la marque. Elle t’avait chuchoté qu’on se l’arrachait dans le coin et plus vite son visage sera imprégné de ta marque, mieux ce sera. Rapidement, vous aviez combiné vos talents et ça avait donné le meilleur bouillon de culture connu. En plus d’être talentueuse tu avais trouvé en elle quelqu’un qui te correspondait mieux que quiconque. Elle aimait les mêmes choses que toi et était capable d’être outrageusement sexy quand tu la prenais en photo alors qu’elle se dandinait sur du gangsta rap dont elle connaissait toutes les paroles. Elle laissait tout le temps du rouge à lèvre sur les bouts de joint dans le cendrier derrière le magasin et quand tu fumais ta clope seul entre deux clients t’avais presque envie d’embrasser le mégot. Ses clichés rendaient la marque racée, ils la sublimaient. Quand tu regardais les larges panneaux sur les murs du shop t’avais toujours un sourire en coin du genre "putain, la chance".  Il y avait quelque chose entre vous d’indéfinissable. Elle t’attirait indéniablement comme les sirènes le font avec les marins qui partent à la dérive. T’étais à la dérive mon pote.

Deeane, elle avait renversé comme un château de carte tout ce que vous aviez construit avec Yuna. elle t’avait inscrit à l’école de la survie. c’était tout de suite apparu comme une évidence et intérioriser les pulsions magnétiques que vous aviez l’un pour l’autre a longtemps été un travail d’orfèvre. un mardi soir alors que tu t’apprêtais à fermer le magasin, elle était arrivé, elle ne t’avait pas salué, elle n’avait pas cherché son reste et elle avait attrapé ta nuque pour t’embrasser avec passion. tu l’avais laissé faire une dizaine de secondes et puis tu l’avais repoussé parce que t’avais pensé à Yuna. On peut pas faire ça maintenant Dee. elle t’avait dit d’aller te faire foutre et elle était partie. elle avait eu raison. le soir, pendant que ton indésirable regardait une de ses séries de merde dans la chambre, tu avais pris ta douche et tu avais pensé à ce qu’il se serait passé si tu l’avais laissé faire et que vous étiez allés dans l’arrière-boutique. Inutile de préciser que tu avais fait pleurer le cyclope. La seule personne à qui tu en avais parlé c’était Sham. Il t’avait premièrement dit que tu étais un sale con, avant de s’allumer une clope et de te dire qu’il fallait que fasses quelque chose parce que Yuna c’était une fille bien et qu’elle méritait pas ça. Je sais. Mais rien n’avait changé.

Avec elle tu avais l’impression d’être un prince car cette succube dégueulait de sa beauté et de son charme sur ce grand noir que tu étais. Une fois, alors que vous buviez un café sur une terrasse au bord des quais, un touriste français relou avec l’accent à couper au couteau vous avez accosté en vous disant que vous alliez teeeeeellement bien ensemble, que vous étiez teeeeeeeellement beaux. ça t’avait fait plaisir. Deeane t’en sais rien. Elle était tellement mystérieuse cette fille, tu ne connaissais même pas un quart de son vécu alors que toi, elle pouvait te lire rien qu’à regarder tes yeux. Quand tu lui posais une question qui l’emmerdait, elle avait juste à pencher la tête du côté, faire  une moue boudeuse en trifouillant ses cheveux et te dire "Qu’est-ce que tu es beau Ce". Et toi tu la fermais.
votre relation était interdite et dangereuse, elle en tirait là toute sa noblesse. tu l’adorais, comme un peintre adore son modèle. c’était ta muse. ton icône. tu aurais pu tailler dans la pierre ses courbes les yeux fermés tellement tu les avais apprises. tu les connaissais mieux que celles de Yuna que tu n’avais pas pris le temps d’adorer. tu ne la photographiais plus pour la boutique, tu la photographiais pour toi, pour te complaire dans ta possession de cet être exceptionnel. Deeane était presque à toi, tout comme tu voulais lui dire à quel point tu étais à elle. Elle ne soupçonnait même pas combien, ta vile fascinante.