le matin, le monde se lève.
le matin, elle continue ses rêves.

inlassablement. la tête tournée vers la vie, vers l'infini qu'elle croit à sa portée.

elle écoute, elle voit, elle ressent. tout, et rien à la fois. des sourires, des conversations indistinctes, des rires enjoués. et toujours cette odeur de café chaud qui embaume les sens, qui envoûte l'esprit. sam qui sourit, la tête encore dans les nuages du matin. huit heures. le soleil et sa faible lueur se noient dans la brume du ciel. l'air frais s'échappe des lèvres entrouvertes des marcheurs courageux de l'aube. le vent souffle les feuilles, les fait virevolter au rythme d'une fin d'automne. elle y perd son regard, sam. laisse ses yeux se balader à travers la vitre du café, laissant les quelques clients à l'associé. un semblant de liberté de l'autre côté, qu'elle veut rejoindre, où elle veut se sentir emportée. un écouteur abîmé dans l'oreille gauche, lui chante ses mélodies préférées. elle balance sa tête en allant avec la musique, les yeux tantôt fermés, tantôt plongés dans l'infinité qu'est le monde qui l'entoure.
puis elle penche à nouveau vers la vitre. elle compte les minutes restantes, calcule le décompte. elle a déjà hâte que la nuit tombe, déjà hâte de la première caresse lunaire sur sa peau. une seconde. deux. trois. pas assez. le matin vient à peine de pointer le bout de son nez. elle a pas dormi, sam, cette nuit. elle a, comme toujours, voyagé. dans ses pensées. accompagnée de la pénombre, des démons du soir, qu'elle aime, qu'elle chérie tant. une fascination incontrôlée pour la beauté des étoiles qui se reflètent sur les façades des immeubles abandonnés.
elle dévie un instant, tente de s'intéresser à la réalité. de redescendre sur terre, avec les mortels qui la fascinent tout autant. elle voit cette fille au loin, sam. ça fait plusieurs matins qu'elle y porte ses yeux. la seule âme en terrasse, qui défie l'air matinal, alors que le monde cherche à l'éviter. y'a ce halo de fumée de cigarette qui se dessine et qui s'évapore autour d'elle pour enfin venir se renouveler à chaque nouvelle bouffée. une jolie figure aux cheveux blonds/châtains éternels, le regard levée en direction de sam. accompagnée d'un carnet dont elle vient griffonner d'un crayon de temps en temps du bout de sa grise mine.
toujours ces mêmes papiers, ces mêmes dessins que sam aperçoit au loin. ses esquisses floues qui ne font que l'intriguer d'avantage de jour en jour. elle veut s'approcher, découvrir, observer. pour ne pas changer. aujourd'hui plus que tout, elle veut savoir. connaître. la connaître. percer le mystère de son visage à la fois doux et carré. elle avance pas par pas alors qu'elle replace à la fois une mèche volage de ses cheveux bruns noués. elle écoute pas celui qui l'appelle à reprendre le service. blocage. avancée machinale, presque hésitante. elle se tient devant la cliente, l'air à la fois curieux et impressionné. un "waw" presque immédiat s'échappe de ses cordes vocales lorsqu'elle porte les yeux sur le croquis. l'art la fascine. toute forme de beau, d'abstrait, de création, l'inspire, alimente son émerveillement. "c'est si beau. explique-moi. si tu le veux." sam. pure sam. enfant, les yeux grands ouverts sur l'univers. sans réelle gêne, juste un besoin constant d'apprendre. elle connaît pas la jolie artiste à ses côtés, mais immédiatement, elle s'installe. les yeux noisettes qui se plonge dans les siens, puis dans le dessin. les sens en alerte, la bouche entrouverte.

Inlassablement. La tête tournée vers la vie, vers l’infini qu’elle sait à sa portée. La tempête de pluie qui fait rage au dehors berce ses tympans tandis qu’une partie d’elle réalise en sourdine qu’elle est bien là, dans le cocon de chaleur d’un café aux sièges de bois, aux canapés plastifiés. Ses doigts minces enserrent le crayon, les traits fusent de part et d’autre du carnet de croquis, aux pages jaunies par le temps. Elle n’a pas besoin du propre, pas besoin du blanc. Elle a toujours aimé sentir en elle, autour d’elle, les effets des secondes, des heures passées et perdues à jamais. Ses mèches s’envolent pour frôler de la pointe les feuilles qu’elle griffonne. Elle n’entend pas les petits pas qui se rapprochent de sa table, isolée près de la fenêtre – parce que les gouttelettes qui s’écrasent contre la vitre serrent sa gorge, font naitre d’imperceptibles larmes dans ses yeux. Elle n’a pas peur de pleurer, pas plus qu’elle n’a peur de partir en fumée, comme ça, au moindre pas de travers, quand son pied manquera le fil tendu et que le vide embrassera son corps tout entier. Une voix la fait s’arrêter, ses yeux fixent un point imaginaire sur le cahier. Elle attend. C’est un être qui parle, d’une voix de gorge douce, stomacale, tendre et tendue, une voix de vivant qui sait, comme elle, écouter parler l’Homme. Un sourire se dessine sur ses lèvres et les étire, creuse doucement ses joues alors que son regard remonte jusqu’à la femme venue à elle. Elle l’embrasse du plein de ses pupilles noires, la caresse le long de sa peau mate. Le regard de Vesper est profond et étrange, il est aimant devant chaque inconnu qu’il croise. Il n’y a pas de peur, toujours de la surprise. Sa main lâche le crayon qui tombe sur la table dans un « poc » qui seul vient rompre leur silence. Elle entend une voix rappeler la serveuse à sa tâche, mais la serveuse n’existe plus. La serveuse a disparu au moment où La Femme est allée vers l’Autre Femme pour happer son regard, attraper sa bouche dans ses yeux. — Explique-moi, toi, si tu le peux, souffle-t-elle entre ses lèvres sans cesser de l’observer. Le regard de Vesper, quand il enserre sans étouffer, quand il embrasse sans forcer, sait maintenir le temps en suspens. Elle lui fera tout oublier, après. Elle s’en ira pour ne rester qu’un souvenir brumeux d’une longue journée pluvieuse. C’est comme ça qu’elle est. Après. A présent, sa vie, c’est La Femme. Son regard en amande posé sur son dessin, ce que ses doigts, son esprit, son ventre ont créé pour elle. Car maintenant, c’est sa vie.  

les yeux pleins d'étincelles. des étoiles échappées du ciel qui sont venues se nicher dans des pupilles encore plus grandes que l'univers tout entier. y'a cette femme aux airs de grande dame, avec ces traits fins, qui se floutent dans le matin. ils font vaciller les yeux sam de son visage au croquis. illusion. on dirait une illusion. quelque chose d'éphémère, qui vient toujours à l'aube, qui se mêle à la brume fraîche et légère. habitude. le coeur de sam qui s'ouvre grand quand elle voit cette chevelure tantôt dorée, tantôt bronze. ces brins brillants d'un ange descendu du ciel lointain. et qui enfin, ose l'aborder, s'approcher plus près. sam attiré par une inconnue qu'elle sent si proche. elle lui sourit, la belle. les joues rosées par l'air frais. l'esprit apaisé, comme s'il lui était familier. elle a ce côté doux, trop doux, qui transperce sam, qui envoûte ses pensées, transforme le tout en un ensemble jolie et fleuri. un brin unique, qui change de tous les autres. un être non réel, mais qui se tient pourtant devant elle. sam, elle a cette impression que tout est possible avec l'ange étrange. qu'elle peut déployer ses ailes, et s'envoler avec elle. ses yeux marrons se plongent dans les siens un instant. le crayon s'échappe de son emprise, s'écrase sur le papier dans un son qui résonne dans les têtes. le seul son qui vient troubler le silence, rompre le mouvement des branches. et cette voix douce et rauque à la fois, que la perle laisse s'exprimer. explique-moi, toi, si tu le peux. lâché dans un souffle léger, qui s'envole en même temps que les feuilles virevoltant à travers le vent. puis l'arrêt du temps. sam, les lèvres toujours entrouvertes, le regard toujours passionné. qui ne sourit plus qu'à la vie. "j'aimerais le pouvoir." elle se rapproche un peu. pose une main d'enfant effleurant le dessin, puis le crayon. "je ne vois que la beauté ici. tu t'exprimes, tu laisses aller. tu laisses le crayon se balader dans diverses directions. mais pardon, j'suis pas habituée, j'devrais pas affirmer les choses comme ça. mais c'est tellement fascinant, si prenant." elle l'intrigue. trop, beaucoup trop. elle lui donne envie de tout comprendre, tout savoir, tout prendre, tout vivre. pour pouvoir attraper dans le creux de ses mains, cet infini qu'elle croyait à sa portée, et qu'elle sent désormais plus près.