depuis quelques jours, soledad, elle ère. zev va sortir. ses lèvres prennent la forme des mots, doucement, délicatement. chaque lettre se coince dans sa gorge et elle se sent submergée, à nouveau. elle ne fait plus que ça, soledad. pleurer. zev va enfin sortir de prison. elle était perdue sans lui, mais maintenant qu'elle va le retrouver, elle est encore plus perdue. elle ne sait plus vraiment qui elle est. soledad, l'amoureuse. soledad, la femme. soledad, l'amante. tous ces visages s'entremêlent et sa tête est prête à exploser. il faut sortir. soledad, elle est infiniment heureuse de savoir qu'elle va enfin pouvoir serrer zev dans ses bras, zev, son âme soeur. mais au fond, c'est un déchirement. il y l'appel de la chair, toujours, celui de la liberté aussi. quand ses lèvres tremblent et que son corps se serre contre celui de zev dans ses rêves, elle lui promet son corps, son âme, sa vie. mais quand elle croise les beaux yeux d'une silhouette perdue, elle ne peut pas s'empêcher, elle ne se contrôle plus et elle aime passionnément, l'espace de quelques minutes, elle aime, et c'est zev qu'elle oublie. il faut sortir. mais quand elle franchit la porte de ce petit café, un café pour pauvres comme elle l'a toujours dit, ses jambes tremblent. elle n'a plus sa légendaire assurance, son regard hautain et ses hanches qui dansent à chaque pas. premier contact avec la réalité depuis quelques jours. alors qu'elle fait la queue, avec une mine dépitée qui crie qu'elle devrait rentrer chez elle tout de suite, se barricader, fermer les rideaux et dormir jusqu'à ce que zev la résonne, son portable vibre. une fois. deux fois. elle l'attrape dans son sac et contemple longuement l'écran. merde, merde, merde. pas elle, par pitié, pas siham, pas maintenant, pas dans cet univers. comme un faon pris au piège devant les fards d'une voiture, soledad se retourne, brutalement, elle cherche. pitié, qu'elle ne soit pas là. elle va l'envoûter encore, avec ses jolis yeux noirs et ses joues roses. elle va l'envoûter encore, avec ses courbes et ses mots d'amour. leurs regards se croisent. un, deux, trois. "mademoiselle, vous désirez ?" déstabilisée, elle sursaute. elle passe commande, mais ses yeux n'arrivent plus à se détacher du visage de poupée, tellement calme, mon dieu, qu'elle est belle. elle attrape le café en manquant de peu d'en renverser et elle se dirige d'un pas décidé vers siham. siham, princesse d'orient, siham, femme enfant, siham, histoire d'une nuit. plusieurs peut-être, mais c'est un secret. "siham ? ça va ?" elle s'empresse de s'asseoir, vite, vite, il faut profiter de chaque instant. siham, c'est le passé, l'avant zev, son dernier repère, avant que zev arrive. alors, elle arbore son plus beau sourire et dans sa tête, les images défilent.

la voix de siham. elle a un goût sucré dans les souvenirs de soledad, la voix de miel, celle qui murmure des jolis mots au creux de la nuit. il y a quelque chose de tellement réconfortant dans son regard noir et soledad n'arrive plus à le quitter. les mots qui tombent des lèvres pulpeuses de sa princesse orientale semblent teintés de reproches, de haine, de passion. mais soledad, elle y est habituée. c'est un rituel entre elles. soledad et siham, c'est inattendu, soudain, bref. c'est une histoire non pas d'amour mais de sexe, une histoire éternelle, intense, violente. un fantôme, oui, il faut dire que depuis que zev est entré dans sa vie, soledad est effacée. elle tente tant bien que mal d'exister au-delà de cet amour qui est tout pour elle, mais elle a du mal, alors elle disparaît. sa silhouette se noie dans la foule de gens qui défilent dans le monde, qui errent sans but, et parfois, elle réapparaît, comme si de rien n'était. "ça peut aller." sourire sincère, s'il y a une personne à qui elle s'est attachée, c'est siham. ça n'en est pas moins superficiel que ses autres relations, bien sûr. c'est à ses soupirs qu'elle est attachée, aux mouvements de son corps qui danse et tangue, au goût de ses lèvres, un paradis. mais là tout de suite, elle se sent profondément attachée à siham. elle se raccroche à leur relation, tant bien que mal, parce qu'en ce moment, elle coule, soledad. "merde, tu m'as vraiment manqué." spontanément, elle lui attrape la main. il lui faut cette chaleur humaine, ce contact, ces étincelles. "tu deviens quoi ?" les mots sont codés, entre elles. tu deviens quoi, ça veut dire "tu galères pas trop ? tu as besoin d'argent ?" le sourire qui suit cette question, il veut dire "siham, tu sais très bien que tu peux compter sur moi. allez, tiens, prends ça." et quand soledad plonge son regard dans celui de siham, elle la veut, plus que tout.

plus rien ne va pour soledad ce jour-là, mais quand elle voit les beaux yeux de sa princesse orientale qui boivent ses paroles, quand elle voit ses lèvres qui tremblent d'impatience, parler d'argent, vite, il faut faire vite, ce n'est qu'un murmure dans la conversation, elle se sent bien. mieux. quand elle voit qu'on a besoin d'elle, soledad ne se sent pas reconnaissante, elle se sent puissante. le sourire qui se dessine sur son visage est un mélange hétérogène, à la fois hautain et tendre. siham, ma petite siham, ma belle siham, ma siham d'amour, ne t'en fais pas, ne t'en fais plus. je suis là. "merde, tu survis comment sans ton skate ?" pour la première fois, soledad boit une gorgée de son café, trop froid, sans goût, elle a envie de le recracher. "siham je sais pas ce que je fous ici, ce café est vraiment dégueulasse." elle aime bien la faire languir, soledad. elle aime bien avoir le pouvoir, contrôler, décider. c'est elle, la reine, et personne d'autre. elle pourrait lui filer une petite liasse tout en continuant à parler du beau temps avec un ton las, mais ce serait pas drôle. "tu traînes souvent ici ces temps-ci ? tu devrais plutôt venir me voir au rosewood, tu t'amuserais plus." son regard, ennuyé du monde, scrute les visages des gens qui rentrent. fatigués, décrépis, sans vie. pitoyable. elle, elle se sent belle, magnifique même, royale devant siham. en quelques minutes, soledad a déjà oublié toute la tristesse qu'elle porte en elle. zev, la prison, la nuit, tout ça, ça n'existe plus.

soledad rit un peu, c'est vrai qu'une personne comme siham, ça ne fréquente pas souvent les hotels dorés. il y a quelque chose d'insistant chez siham, comme si le temps était compté, comme s'il fallait se cacher, comme si tout ça n'était pas tout à fait juste. alors soledad fronce les sourcils, mais elle suit sa belle, elle sait très bien qu'elle a besoin de fumer, comme d'habitude. quand elles franchissent le pas de la porte, soledad est frappée par l'air froid qui enveloppe son visage, peau de soleil. c'est vrai ça, qu'on oublie toujours le monde qui nous entoure quand on est avec siham. un peu comme avec zev, mais en un peu moins bien, en un peu plus brouillon, en un peu plus bâclé. zev. zev, zev, zev. soledad est emportée par le pas rapide de siham. il faut faire vite. elles s'arrêtent au détour d'une rue sombre, quoi de plus romantique pour des retrouvailles, et soledad fixe siham. qu'est-ce qu'elle est belle. (n'oublie pas zev.) qu'est-ce que ses lèvres sont douces. (n'oublie pas zev.) qu'est-ce qu'elle est envoûtante. (n'oublie pas zev.) elle n'arrive pas à attendre quelques secondes supplémentaires, l'appel de la chair fraîche prend le contrôle sur son corps et ses lèvres, vulgairement colorées d'un rouge à lèvres chanel, viennent rencontrer celles de siham. battements de coeur. ses mains viennent danser dans ses cheveux bruns, constellés d'étoiles. battements de cil. il faut caresser sa peau, vite, sentir chaque parcelle se dessiner sous ses doigts, capturer cette chaleur humaine dont elle a tant besoin. elle ne peut pas. soledad, elle se sent seule plus que tout au monde, elle a un pincement au coeur, c'est quelque chose de grand, quelque chose qu'elle n'a jamais ressenti, quelque chose de terrifiant. il ne faut pas perdre siham, c'est une petite pierre précieuse, alors ses lèvres ne se détachent plus des siennes, plus jamais, mais elle se sent déchirée. les larmes coulent sur ses joues, grossièrement, zev aide-moi, zev je ne veux pas de tout ça, zev, par pitié, juste toi. 

les larmes coulent, elles ne s'arrêtent plus, brutales, délicates, des pétales qui s'arrachent du coeur de soledad. elle est défigurée. le maquillage coule, la fierté disparaît, elle, elle qui a tant besoin de briller, elle a perdu tout son éclat. soledad, c'est une gamine, perdue entre ces grands arbres gris et ces grandes histoires de coeur, toutes ces choses trop grandes pour elle. siham part. il fait froid, tellement froid, elle est seule, tellement seule, tout ça, c'est trop. les larmes coulent. quelques notes, la voix de siham, chaude, mais déjà trop loin, à des milliards d'années-lumière, il n'y a plus rien à faire, soledad a perdu siham, si vite. elle n'entend pas très bien, peut-être à cause de ses sanglots, peut-être à cause des battements de son coeur qui pourrait se rompre à tout moment, peut-être à cause du bruit constant de la ville qui enveloppe sa tête et son âme, doucement. elle secoue la tête, mais tous les mouvements se perdent dans les larmes. elle est gênée siham, elle ne sait plus trop où se mettre, mais soledad encore moins. il y a tout un univers entre elles maintenant. il n'y a plus d'amantes secrètes, seulement deux femmes détruites, perdues, jamais vraiment là où il le faut. soledad aimerait venir déposer des baisers dans le cou de siham, elle aimerait pouvoir lui faire l'amour, là, tout de suite, elle aimerait pouvoir l'aimer, normalement, comme toujours, un coup oui un coup non, je t'aime je t'aime plus. mais elle ne peut plus. "ne pars pas." les mots tombent. entre la peur de la solitude et la peur de perdre siham, la ligne est faiblement dessinée, hésitante, en pointillés. "s'il-te-plaît." dans les yeux de soledad, des étoiles, elle pourrait se jeter à terre et supplier sa belle à genoux de ne pas partir, mais c'est trop tard. tout est perdu.