we're doomed ♦ élaïa&shawn

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le soleil se retire. prêt à laisser place à la lune, le ciel revêtit un manteau sombre tacheté d'étoiles scintillantes. un brise fraîche s'installe tandis que les lampadaires illuminent la ville. silhouette se découpant parfaitement sous leurs lumières, shawn garde les yeux baissés sur les pavés des trottoirs, laissant un fin filet de fumée s'échapper d'entre ses lèvres. encore et toujours égaré dans le vaste monde de ses pensées, il ne prête attention à rien, tout se passe dans sa tête. le peu de personnes de sorties à cette heure, il ne les regarde même pas. plongé dans une soirée comme celle-ci, plusieurs paroles lui traversent l'esprit. il sait que, même deux ou trois heures plus tard, il ne les auras toujours pas oubliées, et il pourra les écrire quelque part pour ne probablement jamais les réutiliser. le silence de la nuit est perturbé par des rires, des voix entremêlées, de la musique émanant des clubs de nuit. shawn se dirigea vers le café du coin, endroit où il avait l'habitude de se rendre, peu importe l'heure de la journée. c'était un habitué, un peu. il aimait venir ici, seul ou en compagnie de ses proches, c'était tout aussi apaisant. passant sa main dans ses cheveux bruns, il rentra dedans, plissant les yeux sous l'éclatante lumière provenant de l'ampoule du bar. ici, une toute autre atmosphère régnait. le tintement des verres qui s'entrechoquent, les rires gras des hommes saouls.. un bar, simplement. faisant un signe de la tête au barman, ce dernier savait ce que le chanteur désirait, question d'habitude. il ne pouvait pas se diriger simplement vers le bar, non. une présence l'en empêchait. l'ombre d'un rictus se dessinait sur son visage, ses yeux ranimés par une étincelle d'amusement. «élaïa.» vint-il murmurer à l'oreille de la demoiselle brune assise devant le comptoir. élaïa, élaïa. une jeune femme brisée, dont le corps est exposé comme une œuvre dans un musée. s'asseyant à ses côtés, shawn se tourna vers elle, appuyant son coude sur le comptoir. «c'est inhabituel de te voir autant habillée.» lance t-il en haussant les sourcils, les coins de ses lèvres s'étirant dans un sourire en coin taquin.

tes doigts tapotent le bois du bar. t'as les traits tirés, des cernes sous les yeux.
parce que tu dors pas, t'as pas l'temps. du repos ? t'as pas le droit.
t'as juste le droit de boire pour reprendre des forces, un petit porto, parce que t'as pas le luxe de te payer plus, t'as pas assez d'argent pour le gaspiller dans de l'alcool.
tu prends ton verre, tu l'apportes à tes lèvres, les yeux fermés. le liquide coule dans ta gorge, chaud, ça te donne des frissons. tu t'abandonnes à ce plaisir intense. t'en demandes pas plus pour le moment, les meilleurs plaisirs sont les plus rares et les plus courts. ceux que t'as du mal à attraper du bout des doigts.
tes yeux se rouvrent sur un monde toujours aussi peu potable. tu pensais qu'il pouvait changer, en un clignement de paupière, comme un cliché.
mais c'est pas le cas.
ça n'ira jamais mieux.
jamais.
faut pas rêver ma vieille.

tu regardes ton verre, le liquide qui s'y trouve. si c'est ça le bonheur, alors il t'en faut une baignoire. pour pouvoir t'y baigner. nager dans le bonheur. ce bonheur que tu ne connais plus. tu essuies un peu de porto qui coule sur tes lèvres, tu le récupères avec ta langue pointue pour ne pas en perdre une goutte. t'as l'impression que les gens derrière toi te regardent. t'as l'impression qu'ils te jugent. tu sens leurs regards dans ton dos. t'as envie de te retourner. de leur hurler dessus, leur dire qu'ils sont aussi moches que toi, que de toute manière, la vie n'est pas belle. c'est une pourriture, une sale pute au même titre que toi. t'es pas fière. tu l'as jamais été.

- élaïa.

un souffle, un murmure. comme une caresse qui s'étale sur ta peau froide et anormalement pâle. tu papillonnes légèrement des yeux, comme pour essayer de mieux voir.

- c'est inhabituel de te voir autant habillée.

il prend place à tes côtés, comme l'ami que t'auras jamais. il est là, il te regard, il te sourit même. et t'es incapable de lui rendre un sourire. t'es incapable de lui répondre convenable. tu pose ton regard sur lui, les yeux pétillants, vide de vie, vide de bonheur, mais plein d'un espoir incompréhensible. l'espoir d'un monde nouveau et une vie à récupérer. alors tu arrives enfin à esquisser un maigre sourire à son attention.

- si ça te dérange, on peut s'éloigner et je pourrai enlever un vêtement.

ça sonne faux. tu ne sais pas tellement pourquoi. tu lèves ton verre dans sa direction en soufflant doucement.

- à notre santé, et à la santé de cette putain de vie qui nous bouffera tous.

t'attends qu'il trinque avec toi.

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ça l'amuse. son faux sourire, totalement en accord avec son malheur. ça l'amuse, shawn. il sait qu'elle joue un rôle, il sait qu'elle se force, ça le fait sourire. il s'en délecte, dans l'attente qu'elle fasse tomber son masque. sa réponse lui arrache un court rire, auquel il met fin en glissant une nouvelle cigarette dans sa bouche. saisissant le verre qu'il avait demandé quelques minutes plus tôt, et le fait s'entrechoquer contre celui d'élaïa. «shh, une jeune femme comme toi ne devrait pas parler comme ça.» dit-il tout bas, avant de boire une gorgée. sa voix, il la contrôle parfaitement. chaque son, chaque intonation est choisie. c'est son talent à lui, il sait ce qu'il dit et adopte les mots qu'il désire. shawn joue entre la provocation et l'enfantillage, c'est tout. d'habitude, ça le lasse tellement vite que ça se lit dans ses yeux. il faut croire qu'elle est une exception. il devrait pas, il devrait la laisser se briser dans un coin, ne même pas orienter son regard vers cette poupée fissurée. mais il y avait ce quelque chose. un je ne sais quoi qui l'attirait vers elle, qui le forçait à rester à ses côtés. peu importe les rôles qu'il peut jouer, shawn ne sera jamais complètement insensible à une femme, de toute façon. même si il y en a une en particulier encrée dans son cœur, ça ne fait rien, il ignore cette mélodie mélancolique jouée par ses souvenirs. il essaie de voir ce que ça fait, d'avoir envie d'être heureux. «tu es prête à laisser la vie de dévorer entièrement, élaïa? tu ne comptes même pas résister un peu plus longtemps? allons.» le chanteur ne pourra probablement jamais avoir une idée de ce qu'elle subit chaque jour, mais ça ne l'importe pas plus que ça. faisant glisser une cigarette jusqu'à elle sur le comptoir, il passa encore une fois sa main dans ses cheveux. son regard soutenait le sien, toujours. shawn a envie de pouvoir lire simplement en elle.

tu sais pas tellement si t'es à ta place ici.
mais tu n'as pas vu de pancarte à l'entrée avec l'inscription : INTERDIT AUX DECHETS DE LA VIE.
alors t'as certainement le droit d'être ici.
tu serres ton verre dans ta main salement manucurée, griffue jusqu'à l'extrême, modèle de ton style de vie. ce verre te donne du pouvoir, ou du moins c'est ce que t'en penses. la chaleur qui s'en dégage te donne l'impression d'une force unique. t'as les yeux qui se perdent dedans. le tourbillon au milieu du breuvage est à l'image de ton état d'âme. t'es aspiré dans ce tourbillon, t'as le cerveau qui te force à t'y plonger avec un brin de crainte.
et shawn est là.
il a l'air de te faire la morale. comme si tu avais le choix, comme si tu pouvais aller mieux. c'est impensable, totalement impensable. comment tu veux faire ?
tu as tenu vingt-et-un ans, elle est où ta médaille ? t'as jamais eu la vie facile, et les gens que tu croises te traites toujours comme si de rien n'était, comme si tu avais la capacité d'aller mieux. mais ils n'en savent rien. ils ne connaissent pas ta famille, ils ne subissent pas ton métier, ils n'ont pas ta vie. la dure vie que tu mènes.
entre les larmes et le sang.

- à quoi bon ? à quoi bon résister plus longtemps ?

tu lèves ton verre à tes lèvres et bois ce qu'il en reste cul sec. t'as besoin de décompresser. et comme si t'avais gagné au loto pendant la nuit, t'en commandes un autre, plus fort, plus cher. tu t'en fou, t'as de quoi payer pour le moment.
ensuite, tu replantes tes yeux dans ceux de shawn.
shawn qui est beau. shawn qui a un truc en plus. il est sympa c'gars, c'est pas un connard de bas étage comme t'en croises chaque minutes, de chaque heures, de chaque putain de jours.

- la vie n'en devient que plus infâme quand on lui donne raison.

alors, par dessus tout. elle allait lui donner tort ce soir, elle allait cracher ce qu'elle avait sur le coeur. pour une fois.

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on est tous plus ou moins persuadés de ne jamais réussir à rester debout face à la vie, enchaînement d'évènements et d'accidents tous plus éprouvants les uns que les autres. elle nous fatigue, elle nous épuise, et on se retrouve à se plaindre dès qu'on en a la moindre occasion, c'est tout. même l'idée ou la simple pensée qu'il y a pire que nous, ne suffit pas à nous redonner l'envie de vivre. shawn avait appris à s'en détacher, également. baisser les bras, déclarer forfait, ça n'est pas dans ses habitudes. «et à quoi bon abandonner maintenant?» à peine plus de vingt ans, et déjà à bout? haussant les sourcils, le jeune homme porta de nouveau sa cigarette à la bouche. «elle peut être pire qu'infâme, tu sais. et tu n'as pas à lutter contre elle, juste trouver un moyen de la rendre moins insupportable.» et on est sûrs que tout seul c'est pas possible. avancer seul, résister seul, vivre seul. alors que c'est la seule option possible. on nait seul, on meurt seul, c'est tout. shawn savait qu'il n'y avait rien d'éternel sur cette terre. la solitude, il n'en avait pas peur. il l'avait adoptée, assez jeune, lorsqu'il avait déjà compris qu'il n'était pas doué pour la sociabilisation. mais plus le temps passait, plus essayait. il essayait de côtoyer les gens, de le découvrir. la plupart du temps, il finissait déçu, mais qu'importe. élaïa. elle avait l'air tellement perdue que même lui, même quelqu'un de l'espèce de shawn, pouvait ressentir ne serait-ce qu'une once de pitié. juste de la pitié. il lui commanda un second verre, autant l'alimenter. il avait les moyens de la faire boire toute la nuit, si elle le désirait. mais ça ne ferait qu'empirer son état actuel. «tu aimerais fuir, elaïa? tu préférais t'échapper de cette réalité si ignoble à tes yeux? »

tu sais bien qu'il a raison, et tu as tort. tu as toujours tort.
tu t'es toujours dit que la vie ne valait pas la peine d'être vécue, mais qu'au final, ce n'était la faute de personne. même pas la faute de la vie elle-même, juste la faute à pas-de-chance. mais ça tombe toujours sur toi, t'as l'impression que le sort s'acharne sur ta petite personne. au final, c'est assez égoïste de voir les choses ainsi. mais tu peux pas t'en empêcher. t'y penses souvent, que t'es maudite, que ta famille entière est maudite.
il ne faut pas être un flores pour réussir dans la vie. et shawn ne le comprend sûrement pas, tu lui fais certainement pitié, malgré toi. t'es pas venue pour ça, tu veux pas que les gens te regardent avec de la pitié, t'aimerais pouvoir garder la tête haute, marcher, le dos droit, un beau sourire aux lèvres. mais comment faire ?

- oui, exactement. mais je n'peux pas.

tu bois le verre qu'il t'a offert, tu le mérites pas, mais c'est ainsi. il est gentil, faut le dire. toi qui veut toujours le faire flancher, toi qui est sur son dos pour qu'il accepte tes charmes en échange de billets. il t'offre un verre, sans rien attendre en retour, d'après toi. cul sec. tu reposes le verre, pompette, puis lui sourit. tu tentes de te reprendre, de redevenir toi-même, en lui faisant du charme.

- mais assez parlé de moi. t'as quelque chose de prévu pour le reste de la soirée ?

tu tentes d'évacuer l'alcool qui te monte à la tête en mangeant quelques cacahuètes posées sur le bar.

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donner des leçons, se sentir au dessus des autres. ça lui fait toujours un peu plaisir. mais élaïa semble si brisée, si fissurée, que c'en est bien moins amusant. si il y avait un chemin à lui indiquer pour reprendre sa vie en main, peut-être que shawn le lui montrerait. mais il n'en éprouvait pas l'envie. de toute façon, qui d'autre qu'elle-même pouvait la redresser ? on ne vit que pour soi. trop compter sur les autres, c'est se laisser consumer lentement par son manque de confiance en soir. les autres, les autres. qui sont-ils, si ce n'est un décor ou quelques pions jetables? «rien. à part toi.» répondre à ses charmes, lui faire entendre de ce qu'elle désire, mentir un peu. c'est se jouer d'elle à moitié. bien sûr qu'il en a conscience, tant pis si elle s'en rend compte. lui adressant un sourire fade de véritables émotions, shawn se servit dans son verre, le claquant légèrement sur le bar. puis d'un seul coup, il se surprit à être las de son propre jeu. l'alcool, peut-être. ou simplement la musique trop forte du bar, le ramenant à la réalité. cette musique trop bruyante, appréciée simplement parce qu'on l'entend de partout, parce que ces mêmes notes répétitives sont entrées dans notre tête une fois, et que l'on n'arrive plus à les faire sortir de là. la musique commerciale. un rythme familier, qu'on prend l'habitude de chantonner. regardant rapidement son reflet dans la vitre du bar, shawn retrouva son attitude glaciale, ses manières peu agréables. allumant une nouvelle cigarette, son regard perçant vint se poser sur élaïa, de nouveau. «tu comptes te laisser faire longtemps? te laisser manipuler par les autres? tu ne te rends pas compte que c'est ça, qui te détruis, élaïa?»

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